Anniversaire

Ma mère est née un vendredi 13 juillet. Aujourd’hui serait donc son 78ième anniversaire. Elle est décédée il y a 11 ans d’un accident cérébro-vasculaire qui l’a emportée sans prévenir en plein milieu de la nuit, quelques jours après mon trentième anniversaire (j’habitais alors à San Francisco) et une dizaine de jours avant la naissance de son premier petit-fils. Ce petit garçon allait d’ailleurs naître le 4 juin, jour du 47ième anniversaire de mariage de mes parents (1949).

Quand ils se sont rencontrés, Marius et Madeleine étaient voisins sur le boulevard Langelier, dans la basse-ville de Québec. Sur cette photo, maman avait presque 20 ans et papa bientôt 24. Elle nous a toujours raconté que se marier en blanc, avec la grande robe et tout, c’était plutôt mal vu dans la basse-ville de l’époque. C’était un milieu très modeste et très religieux qui supportait mal le péché d’orgueil. Mais la jeune Madeleine, la cadette d’une famille de 14 enfants (elle était tante avant sa naissance!), a insisté: elle voulait une robe de mariée blanche. Elle voulait aussi une bague avec un vrai diamant, même s’il devait être tout petit. On voit bien dans ses yeux sur la photo que personne n’allait la faire changer d’idée. Une petite voix intérieure devait lui dire que cette exigence allait probablement être un des rares luxes auxquels elle aurait droit dans la vie, et le futur lui a donné raison.

Maman était une des personnes les moins sentimentales que j’ai connues (je ne tiens pas ça de nulle part). De son ensemble de mariée, elle avait simplement conservé le voile avec lequel elle nous laissait jouer sans hésiter. Elle n’aimait pas beaucoup les bijoux et quand j’ai atteint l’âge de 16 ans, elle a distribué à ses trois filles les trois bagues en sa possession qui avaient de la valeur. C’était un geste assez étonnant de sa part, puisqu’elle n’était pas très portée sur la symbolique mère-fille. C’est moi qui ai hérité de sa bague de fiançailles avec un petit diamant. Elle est montée de façon très élégante et classique, avec de l’or à deux tons.

Je ne la porte presque jamais, mais je vais le faire aujourd’hui.

Quand j’ai annoncé le décès de maman à ma coiffeuse de l’époque, elle m’a serrée dans ses bras devant tout le monde au salon, ce qui m’a gênée un peu. Puis elle m’a dit que ma mère était peut-être partie, mais que ma relation avec elle n’était pas terminée et qu’elle allait continuer d’évoluer. Elle était un peu « new age » comme coiffeuse, alors j’ai pris ses propos avec un grain de sel, sans trop les comprendre. Avec les années, je me suis rendue compte que c’est une des choses les plus perspicaces qu’on m’ait dites suite à un deuil.

By Martine

Screenwriter / scénariste-conceptrice

11 comments

  1. Elle est morte presqu’au même âge que mon père et aussi soudainement. Le mien aurait eu 69 ans lundi dernier le 9 juillet. Moi aussi j’habitais loin comme toi. Que je suis d’accord avec la relation qui évolue…Et on oublie jamais. La preuve tu lui fais un coucou le jour de sa fête ! Tu es pas mal sentimale avec ce bel hommage mais tant mieux. Et que j’aime la photo :-)

  2. Martine–oh my goodness! you just made me totally cry at work. that is such a gorgeous story, untainted by sentimentality or cliches. you know there’s a movie in there, right? and for that ‘flaky’ hairdresser to have imparted you some wisdom, in retrospect, iws a nice touch too. gorgeous prose.

  3. C’est bien de prendre une minute ou deux pour se rappeler les gens qu’on aime mais qui nous ont quittés. Merci Martine d’avoir partagé avec nous.

  4. Very interesting, very personal and very touching Martine. Unlike Stony Curtis, I have the luxury of shedding a few tears in the privacy of my own home :). The text is definitely cinematic in feel.

    Thinking of you tonight…

  5. Un très beau texte Martine, très émouvant. Tu lui rends un bel honneur… le jour de sa fête.

    bon ca y est, j’ai les yeux émus… :)

  6. Ma mère est née un 13 juillet, elle aussi. Moi Je suis né en juillet, le lendemain de son anniversaire. À l’opposé de ta mère, la mienne est toujours vivante mais, comme la tienne, elle n’a jamais été très forte sur les sentiments.
    Ces gens qui sont nés avant le milieu des années 1950 ont eu un milieu d’apprentissage qu’il nous est difficile de comprendre: grosses familles, peu de luxes, durs labeurs, religion omniprésente, etc.
    Une maman, c’est universel par contre. Je crois que c’est inné en nous.
    La coiffeuse qui t’a offert ce bout de sagesse t’a fait un beau cadeau je crois. Ça vaut le plus beau des bouquets de fleurs en tout cas. Elle avait raison. Nos relations dures aussi longtemps que nous avons des gens importants dans nos pensées… au fond du coeur. Ces relations peuvent très bien évoluer au delà du vivant des gens. Après-tout, c’est pour nous que nous continuons de chercher ou comprendre.
    J’ai adoré ton article qui ne pouvait pas tomber mieux pour moi. Mon père se meurt d’un cancer à l’hopital, c’était l’anniversaire de ma mère hier, la mienne aujourd’hui. Je suis tombé sur ce blogue par hasard mais, ce fut un beau hasard.

  7. Je comprends ton sentiment, Martine. Dernièrement, nous avons célébré le 50e anniversaire de mariage de nos parents. Ce fut l’occasion pour nous de placer une pierre blanche sur notre route (www.familleverville.org). Sur ce site, tu écouteras, si le coeur t’en dit, le témoignage des enfants. Vers la toute fin, je parle des liens de famille.

    (J’ai été heureux de te rencontrer hier soir!)

  8. Merci tout le monde pour les bons commentaires. And sorry about the tears… Ça me touche de savoir que ça vous a touchés. (Bon, me voilà sentimentale ;-)

  9. Oh, Martine, what a beautiful, and beautifully-written, story about your mother. We’ve talked about our mothers before, but I am so glad to know these details, and that you can talk about her happily and freely now. I think the coiffeuse was wise; this is becoming my experience too. Thank you for this…

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