Des étoiles et des araignées

L’émission de radio de Christiane Charette à Radio-Canada a invité 3 blogueurs (Bruno, Dominic, Michelle) à venir présenter un palmarès des « stars du Web québécois ». L’idée est de reproduire, à l’échelle québécoise, le palmarès 25 Web celebs présenté récemment par Forbes.

Depuis que la blogosphère est blogosphère et que le Web est Web, on a cherché à classer, à catégoriser, à hiérarchiser à la fois les contenus et leurs créateurs. Même si je sais que ces classements hautement suggestifs ne doivent pas être pris très au sérieux et qu’ils sont sans impact à long terme, je ne peux m’empêcher de ressentir un malaise quand j’en vois un nouveau se pointer.

Pourquoi? Les raisons sont multiples:

1. Les blogueurs et autres créateurs de contenus Web sont humains. L’annonce de l’arrivée d’un nouveau classement provoque chez une grande majorité d’entre eux – moi inclue, du moins à une certaine époque – une curiosité un peu embarrassante: serai-je dans le top 10? Le top 50? Le top 100? Pourquoi cette personne et pas moi? De communautaire et égalitaire, l’utilisation du Web devient très personnelle, servant notre petite humanité dans tout ce qu’elle a de plus insécure et vaniteuse. On ne se refait pas… même quand on tente de se réinventer par le Web.

2. Dans ce même ordre d’idée, les classements donnent lieu à une opération de relations publiques fort peu élégante, où certains blogueurs bombardent les responsables du classement de messages d’auto-promotion d’une subtilité qui fait mal aux yeux tellement elle brille de désespoir.

3. La grande majorité des gens ne sait pas faire la différence entre « être influent » et « avoir une grande gueule ».

4. L’idée d’organiser les « personnalités Web » en classement hiérarchique va à l’encontre de l’esprit de collaboration et d’égalité qui est à la base même de la création du Web. C’est un peu comme si un moniteur en charge d’un groupe d’enfants dans un fat camp décidait soudainement d’y organiser un concours de beauté. En pensant motiver les gens, on gâche l’esprit et la beauté de la chose.

5. C’est quoi au juste, l’influence? Dans quel domaine parle-t-on d’influence? Un blogueur poète n’aura pas le rayonnement d’un directeur de relations publiques ou de marketing, mais un de ses textes touchera peut-être profondément la vie de quelqu’un qui tombera sur ses mots un jour où il aura la navigation triste.

6. Ce sont très souvent les mêmes noms qui reviennent, du moins dans une période donnée. Ainsi, au lieu de faire découvrir de nouveaux blogues ou de nouvelles « personnalités Web », les classements renforcent simplement une polarisation déjà existante: une majorité de lecteurs pour une petite poignée de blogueurs (ou générateurs de contenu et « d’influence »). Et nous qui étions si fiers de permettre l’existence de marchés de niche avec des contenus hautement originaux qui rejoignaient justement de petits groupes d’intérêts auxquels on s’adressait autrefois si peu souvent! Les classements nous forcent à appliquer des critères hors-ligne très « médias traditionnels » à un univers en ligne qui se faisait justement une fierté, ou du moins un devoir, de ne pas répéter les erreurs des anciens modèles.

7. Les femmes brillent en général par leur absence dans ces classements. Elles sont pourtant très présentes sur le Web et y ont aussi leur influence. Certains semblent croire qu’elles en ont seulement entre elles alors ils finissent par créer une petite section spéciale « blogue féminin » en fin de listing pour s’assurer d’être équitable. Juste après « blogues sportifs » et « blogues d’humour montrant de petits animaux adorables ».

Que faire alors quand on nous demande de créer un classement de personnalités influentes Web? Soit on refuse, parce que ça nous embête, soit on essaye d’être le plus juste possible en établissant des critères complexes, ce qui est une tâche colossale, ou encore, en dernier recours, comme la majorité d’entre nous, on nomme une personne qu’on considère avoir été oubliée, en espérant ajouter un peu de notre vision du Web dans une liste qui ne lui ressemblera pas.

Si j’avais à nommer mes grands oubliés jusqu’à maintenant, ce serait Patrick Tanguay et Dan Mireault, créateurs de Station C à Montréal. Au-delà d’un espace de co-travail, Station C est devenue, en une seule année, un lieu de diffusion et de partage des connaissances Web. En travaillant fort, en donnant beaucoup de leur temps, Patrick et Dan ont concrétisé in real-life leur conception communautaire et collaborative du Web.

Et tout ça sans jamais se mettre eux-mêmes de l’avant. Leur influence, bien qu’elle soit subtile pour l’instant, n’en est pas moins concrète. Dans 20 ans, quand on parlera de la communauté Web québécoise, on aura peut-être oublié les noms de Patrick et de Dan, mais on se rappellera encore de Station C.

Le Web n’est pas une constellation remplie de stars; c’est une belle toile tissée lentement mais sûrement par une armée de petites araignées besogneuses.

Web générations

1999: Un père, branché très tôt au Web, écrit une lettre pour sa fillette qu’il publie sur Internet.

2009: Dix ans plus tard, sa fille de 11 ans va sur Google et cherche son propre nom. Le premier résultat qui apparaît est celui de la lettre écrite par son père. Elle la lit, puis envoie un courriel à son père pour lui dire qu’elle l’aime.

Clément Laberge: pionnier du Web québécois de plus d’une manière.

Bravo pour ton 10ième anniversaire!