Petite voix

Pendant ses courtes séances d’écriture, elle avait l’impression constante d’entendre une petite voix lui dire : « Ce n’est pas particulièrement intéressant ou original, ce que tu racontes. Le monde n’a pas besoin d’un livre de plus. » Aucun ton supérieur teinté de reproche ou de moquerie dans ces mots. La voix était douce et assurée à  la fois, comme celle d’un petit être qui aurait porté en lui toute la sagesse du monde, combinée à  une envie folle de courir après sa queue.

Le bruit des choses vivantes

Deux fenêtres

Les bruits que tu génères dans la cuisine quand tu prépares un repas. Les chaudrons qui s’entrechoquent. Le frétillement du beurre dans le poêlon. Les gargouillements du vin que tu verses dans une coupe. Le son de tes pas prudents qui montent l’escalier pour m’apporter le vin alors que je travaille un peu plus tard que d’habitude.

L’écho de ton silence blessé mais avisé, quand mon ton s’élève en même temps que s’échauffe le côté latin de ma culture. Ton rire ravi quand je te lance une blague de mauvais goût. Le ton un peu plus aigu, pressé, que prend ta voix quand tu veux poursuivre l’histoire que tu racontes et que tu veux t’assurer que je n’arrêterai pas de t’écouter. Le tintamarre enlevant de nos conversations qui ne suivent jamais la même partition.

Le bruit sec d’un baiser rapide suivi de celui d’un au revoir lancé à  la course. Les vibrations créées par la porte qui se referme puis la clé qui fait claquer la serrure qu’il faudra bientôt remplacer.

Le ronronnement du frigo (qu’il faudra aussi bientôt remplacer). Les pas feutrés du chat qui aurait bien voulu te suivre à l’extérieur. Puis plus rien.

Sauf le silence regénérateur de la solitude temporaire.

En écho au billet de Marie-Josée qui s’inspire de la série « Dix minutes, pas une de plus » démarrée par Clément.

Le titre de ce billet est emprunté à un très beau roman d’Élise Turcotte.

Mémoire olfactive

Main sur un livre de recettes

Parfois, sans y penser, je porte la main à  mon visage et la force du souvenir me surprend comme une gifle. Cette odeur sur ma peau, c’est la tienne. Ça sent exactement comme tes mains.

Tu n’étais pas le genre de mère qui recherchait les câlins ou les rapprochements physiques. Mais parfois, quand tes mains ne s’affairaient pas à quelque tâche domestique – ce qui était rare – j’en profitais pour en saisir une et je la respirais profondément. Ça sentait l’oignon, la pâte à tarte, le citron. Ce que tu avais touché dans la journée. Peu importe. J’étais persuadée que si on me bandait les yeux et me faisait sentir des dizaines de mains, je saurais trouver la tienne.

Le contact ne durait jamais longtemps. Tu avais toujours besoin de tes mains pour faire quelque chose.

Dix-huit années sans toi. C’est long.

On dit que l’odorat est celui de nos sens qui a la meilleure mémoire. Les yeux fermés, saurais-je encore retrouver tes mains?

(Billet rédigé en écho à celui de Clément dans la série Dix minutes pas une de plus.)