I’m in a funk, comme on dit en anglais. Peu de motivation, peu d’inspiration, peu d’organisation. Je regarde dehors: le ciel gris, la pluie, le terrain satur� d’eau, et la seule pens�e qui me vient c’est: « Je suis une �ponge. » La phrase revient dans ma t�te, comme une chanson idiote dont on ne comprend pas les paroles mais qui sonne vrai malgr� tout. Une �ponge, gonfl�e par les �motions des autres, tributaire de leurs humeurs, remplie de trop d’ouvertures pour pouvoir esp�rer les boucher.
Je sais, c’est tr�s gai. Plut�t que de vous emmerder avec mes histoires de saturation, j’ai pens� ressortir un vieux texte, de l’�poque de ma ma�trise en cin�ma/cr�ation litt�raire. C’est pas gai non plus, je vous pr�viens.
M et se soumettre
– Pouvez-vous me dire quelle mal�diction vous fut jet�e pour que, depuis des mill�naires, chaque matin vous entra�ne dans sa ronde monotone et matraque votre vie au rythme des moissons?
– Machinalement, en observant nous souvenirs mobiles, nous nous rappelons. On nous avait d�crit cette terre comme une montagne d�abondance o� nous pourrions �riger un monument � la m�moire du mot. Nous ne pouvons vraiment vous dire cette mouvance qui nous habite, n�e de ce mensonge qui a modifi� nos m�urs. Regardez, regardez d�abord cette mauvaise r�colte de bl� qui nous est coutumi�re, ce mortier mal�fique qui se meut, sans motivation, � la force de nos mis�rables illusions!
– Je vois bien votre marche maudite, vos pieds tra�ant sur le sol un cercle mouvant. Je vois vos mains qui montent un mur autour d�un moulin � vent, n�y laissant que de rares meurtri�res pour le passage de la mousson. Vos hommes ont devant eux la lueur mauve d�une moisson magique, �uvre mystificatrice des marchands de mirage. Cette lumi�re, tel un man�ge, les m�ne en rond et bat la mesure. Une force de Minotaure agite leurs muscles o� se meuvent des mouches, maculant de sang leur peau blanchie par la farine de froment. Je vois cette machine humaine moudre le grain de sa vie. Esp�rez-vous ainsi tirer de votre m�prise une nouvelle mati�re, m�tamorphoser votre mis�re?
– Nous ne pouvons vous r�pondre qu�en mouillant la m�moire � la salive du mot. Mais nous n�en tirons qu�un go�t mi�vre de malheur. Nos voix ne sont plus que murmures, nous sommes devenus moutons muets. Nos mines au menton baiss� n�ont plus la force de se tourner vers la mer. Mouettes et mar�es ne nous sont famili�res que dans leur va-et-vient incessant. Nous ne connaissons de l�immensit� de l�oc�an que les rares m�duses qui �chouent au fond de nos puits. En militants maussades, chaque jour nous manipulons le marteau, faisant avancer d�un pas de plus le macadam, �rigeant les limites de notre existence de marionnette. Nos r�ves sont des meules ficel�es pour l��ternit�, oubli�es dans les champs. Au soleil couchant, des merles s�y mirent comme en un miroir et meurent en s��crasant.
– Je vous regarde et je ne vois qu�un soleil sans magnitude sous lequel des gens s�efforcent de cultiver le ma�s. Je vous vois moisir dans les m�andres du temps. Vous �tes maniables et mobiles comme les herbes des mar�cages. La maladie meuble vos maisons et les m�res y sont m�decins impuissants. Peut-on esp�rer que la m�canique se brise, qu�une mutinerie vous soul�ve et que vous migrez vers d�autres lieux?
– Regardez, voyez bien et n�esp�rez plus. La maturation du grain de r�volte marquera d�autres minutes que les n�tres. Vivre est pour nous une mauvaise manie. Nous faisons du moment pr�sent une momie coinc�e dans des lambeaux de mensonges. Le seul motif qui nous anime est la m�connaissance de notre mort, mot-moteur � r�sonance de mythe. Jusqu�� la r�colte finale, nous miserons nos jours sur la multiplicit� des formes du malheur, sur la venue d�une mousson moite de solitude, balayant de ses grands bras les derni�res miettes de remords.