Retour vers le futur

� la fin d’octobre, Blork et moi sommes all�s faire un tour dans ma ville natale. Maintenant que je suis orpheline, j’ai peu d’excuses pour me rendre � Qu�bec (o� habitaient mes parents) et � chaque fois que j’y vais je suis prise d’une lourde nostalgie qui me suit pendant plusieurs jours. Retourner � Qu�bec, c’est me replonger dans une p�riode de ma vie qui me para�t tr�s lointaine et tr�s �trang�re. Je ne suis pas de ceux qui vivent dans le pass� et revoir les coins de la Basse-ville o� j’ai grandi me fait toujours un choc, comme si j’avais oubli� que ces endroits existaient.

Pas d’excuse qui tienne cette fois-ci: c’�tait le party surprise des 40 ans de mon ami Michel. Nous avons donc pris la route pour Qu�bec. Michel, c’�tait mon chum quand j’avais 20 ans, celui avec qui j’ai v�cu dans mon premier appartement. C’est pour partir vivre avec lui que j’ai fait pleurer ma m�re. Sa petite derni�re quittait le foyer. « Qu’est-ce que je fais faire toute seule avec ton p�re? » C’�tait le drame, m�me si j’allais vivre quelques rues plus loin et revenait manger � la maison au moins deux fois par semaine.

Michel et moi partagions ensemble un int�r�t pour le cin�ma, int�r�t que nous avons contribu� � d�velopper chez l’un et l’autre. Le th�me de son party d’anniversaire �tait: « une soir�e � Cannes ». Michel, le roi de l’anthologie (il est du genre � faire de longues compilations musicales pour ses amis, expliquant longuement le choix de chacune des chansons, � la mani�re des gars dans High Fidelity), avait pr�par� une vid�o contenant ses sc�nes de film pr�f�r�es, regroup�es par th�mes. La vid�o durait 1h30, mont�e de magn�toscope � magn�toscope. Un vrai travail de moine. Les tenues de soir�e �taient � l’honneur, ce qui m’a permis de faire une photo � grande valeur historique: un amoureux et un ex portant veston et cravate, un �v�nement tr�s tr�s rare pour ces deux messieurs. Tr�s classe. Et ils n’ont m�me pas bavass� � mon sujet.

Avant notre retour � Montr�al le lendemain, Blork et moi sommes all�s faire un tour � St-Roch, question d’explorer les plus r�cents changements de ce quartier que l’on r�nove � grands frais.

Wow.

J’avais d�j� vu certains de ces changements mais l’�volution du projet de revitalisation du quartier ne semble pas vouloir s’arr�ter. J’ai eu peine � reconna�tre ces rues o� nous allions faire des courses avec maman. Le mail St-Roch, cette horreur qui donnait la frousse aux gens de la haute-ville (qui ne pouvaient pas croire que je m’y promenais sans peur) a disparu pour laisser � nouveau respirer les superbes fa�ades de ses anciens commerces. Le magasin Paquet o� travaillait mon grand-p�re (dans la mercerie) est devenu un gigantesque Mountain Equipement Co-op. Le choc des g�n�rations.

Il faisait beau et la rue St-Joseph �tait pleine de gens qui, de toute �vidence, n’habitaient pas ce quartier. J’ai �t� �trangement r�confort�e de voir que le magasin de tissus Tania avait surv�cu � cette gentrification et n’avait pratiquement pas chang�. Enfant, j’ai pass� de longues heures dans ce magasin avec ma m�re, � admirer des patrons pour une nouvelle robe ou un manteau, � caresser du bout des doigts des tissus soyeux et � jouer avec les cartons sur lesquels �taient attach�s des centaines de boutons. J’ai pens� � mon p�re que j’ai vu chanter pour la derni�re fois en public � l’�glise du Clocher Pench�. J’aurais voulu que mes parents soient l� pour voir ce qu’est devenu le quartier dans lequel ils ont grandi. Maudite vie et maudite m�moire trop courtes. Maudites bonnes intentions qu’on oublie trop facilement.

� chaque visite, Qu�bec me jette son histoire en plein visage et du coup, mon histoire � moi refait surface. Ce n’est pas de sa faute si Qu�bec me rend triste. Les gens, au contraire des villes, ne se refont pas.

Qu�bec est belle et vibre � son propre rythme. Les montr�alais, si convaincus que la province tourne autour d’eux, continuent � l’ignorer et ne s’y rendent presque jamais. Race de monde maudite, comme aurait dit papa, un sourire en coin.

By Martine

Screenwriter / scénariste-conceptrice