Erreur sur la personne

J’ai obtenu une adresse de courriel de Hotmail alors que la compagnie �tait toute jeune, bien avant que Microsoft ne vienne mettre son nez dans le portrait. Hotmail n’avait pas beaucoup d’argent et avait du partager un kiosque � Comdex (Las Vegas) avec celui du magazine pour lequel je travaillais (PC World). Comment j’�tais une des premi�res abonn�es au service, j’avais un grand choix d’adresses et en manque d’inspiration, j’ai tout simplement choisi mon pr�nom, que j’�pelais avec un « y » depuis mon enfance (jusqu’� mon retour au Qu�bec en 1998 o� le gouvernement m’a compliqu� la vie et je suis revenu au « i »).

Tout �a pour dire que comme mon adresse est simple � retenir (monpr�nom@hotmail.com), je re�ois souvent des courriels de parfaits inconnus qui tapent trop vite sur leur clavier et qui destinent leurs messages � une autre Martyne que moi. Un couple dans la cinquantaine m’a fait parvenir des photos de son chalet et m’a offert un s�jour gratuit. Un gars m’a dit qu’il avait envie de me revoir pour un deuxi�me rendez-vous et m’a fait parvenir une photo de lui tenant un tr�s gros poisson (un vrai poisson, pas ce que vous pensez!), une femme m’a remerci� de mon amiti� dans son groupe de soutien pour personnes atteintes de cancer. Certains de ces messages me font rire, certains m’emmerdent parce qu’ils sont tr�s mal �crits et d’autres me touchent beaucoup. J’ai l’impression d’�tre voyeuse, d’avoir acc�s, pendant un court moment, � une petite fen�tre sur un monde interdit. Je r�ponds toujours � ces gens et leur signale qu’ils ont fait une erreur, tout en les taquinant si l’occasion si pr�te.

Cette semaine, mon « amant » inconnu m’a fait parvenir une carte virtuelle avec un petit message:

« Allo ma puce,
bonne nuit
des bisous partout
prends bien soin de toi.
reste prudente avec ton chum
je ne vais plus t�l�phoner quand il sera l�
je t’embrasse tendrement partout, partout.
P. »

Je lui ai r�pondu par une autre carte virtuelle, lui sugg�rant de faire attention non seulement au t�l�phone mais aussi au courriel…

V�rifiez bien deux fois avant de cliquer sur « envoyer ». La vie priv�e n’existe plus!

Martine a 50 ans!

Non, je n’ai pas encore 50 ans, bien que ces jours-ci, je semble souffrir d’un coup de vieux… � voir sur Embruns, un texte anniversaire pour la Martine qui a marqu� mon enfance.

Ma m�re n’a jamais pu m’expliquer pourquoi elle m’avait pr�nomm�e Martine. « Je trouvais �a joli », qu’elle me r�pondait simplement et ce n’�tait pas assez pour me satisfaire. Je voulais que mon pr�nom soit le fruit de longues semaines de recherches et de d�bats amoureux entre mes parents. Je voulais qu’elle me raconte qu’elle avait vu les albums de Martine � la librairie et qu’elle avait « su », dans un moment de gr�ce, que c’�tait parfait pour l’enfant qu’elle portait. Mais ma m�re �tait une femme tr�s tr�s peu romantique, mes parents n’�taient pas amoureux du tout et je suis rest�e sur ma faim…

Les pr�noms choisis par les parents qu�b�cois �taient toujours en retard de quelques ann�es sur la France, de sorte que les fran�ais que je rencontre sont souvent surpris de voir une Martine de moins de 40 ans. Aujourd’hui, plus personne ne nomme son b�b� Martine. Mon pr�nom, qui sonne si enfantin, va vite devenir un pr�nom de vieille.

On m’offrait bien s�r des albums de Martine � chacun de mes anniversaires. Avant m�me de savoir lire, je pouvais r�citer l’album Martine au cirque par coeur, parce que ma soeur Maryse me l’avait lu � r�p�tition. Les beaux dessins me faisaient r�ver mais le fait qu’on voyait toujours la petite culotte blanche de la fillette sous ses robes tr�s courtes me g�nait beaucoup. J’�tais du genre pudique et je portais un short de sport sous ma jupe de Jeannette (scout) pour cacher ma culotte.

Martine semble redevenir populaire en librairie et je ne peux m’emp�cher d’offrir les albums � mes neveux, m�me s’ils pr�f�reraient probablement quelque chose sur les requins ou les dinosaures. N’emp�che, ils sont patients avec leur vieille tante et ils me laissent leur lire un album une fois de temps en temps, � l’heure du coucher, pour mon plus grand bonheur. Martine a ainsi droit � une cure de jeunesse bien m�rit�e.

M et se soumettre

I’m in a funk, comme on dit en anglais. Peu de motivation, peu d’inspiration, peu d’organisation. Je regarde dehors: le ciel gris, la pluie, le terrain satur� d’eau, et la seule pens�e qui me vient c’est: « Je suis une �ponge. » La phrase revient dans ma t�te, comme une chanson idiote dont on ne comprend pas les paroles mais qui sonne vrai malgr� tout. Une �ponge, gonfl�e par les �motions des autres, tributaire de leurs humeurs, remplie de trop d’ouvertures pour pouvoir esp�rer les boucher.

Je sais, c’est tr�s gai. Plut�t que de vous emmerder avec mes histoires de saturation, j’ai pens� ressortir un vieux texte, de l’�poque de ma ma�trise en cin�ma/cr�ation litt�raire. C’est pas gai non plus, je vous pr�viens.

M et se soumettre

– Pouvez-vous me dire quelle mal�diction vous fut jet�e pour que, depuis des mill�naires, chaque matin vous entra�ne dans sa ronde monotone et matraque votre vie au rythme des moissons?

– Machinalement, en observant nous souvenirs mobiles, nous nous rappelons. On nous avait d�crit cette terre comme une montagne d�abondance o� nous pourrions �riger un monument � la m�moire du mot. Nous ne pouvons vraiment vous dire cette mouvance qui nous habite, n�e de ce mensonge qui a modifi� nos m�urs. Regardez, regardez d�abord cette mauvaise r�colte de bl� qui nous est coutumi�re, ce mortier mal�fique qui se meut, sans motivation, � la force de nos mis�rables illusions!

– Je vois bien votre marche maudite, vos pieds tra�ant sur le sol un cercle mouvant. Je vois vos mains qui montent un mur autour d�un moulin � vent, n�y laissant que de rares meurtri�res pour le passage de la mousson. Vos hommes ont devant eux la lueur mauve d�une moisson magique, �uvre mystificatrice des marchands de mirage. Cette lumi�re, tel un man�ge, les m�ne en rond et bat la mesure. Une force de Minotaure agite leurs muscles o� se meuvent des mouches, maculant de sang leur peau blanchie par la farine de froment. Je vois cette machine humaine moudre le grain de sa vie. Esp�rez-vous ainsi tirer de votre m�prise une nouvelle mati�re, m�tamorphoser votre mis�re?

– Nous ne pouvons vous r�pondre qu�en mouillant la m�moire � la salive du mot. Mais nous n�en tirons qu�un go�t mi�vre de malheur. Nos voix ne sont plus que murmures, nous sommes devenus moutons muets. Nos mines au menton baiss� n�ont plus la force de se tourner vers la mer. Mouettes et mar�es ne nous sont famili�res que dans leur va-et-vient incessant. Nous ne connaissons de l�immensit� de l�oc�an que les rares m�duses qui �chouent au fond de nos puits. En militants maussades, chaque jour nous manipulons le marteau, faisant avancer d�un pas de plus le macadam, �rigeant les limites de notre existence de marionnette. Nos r�ves sont des meules ficel�es pour l��ternit�, oubli�es dans les champs. Au soleil couchant, des merles s�y mirent comme en un miroir et meurent en s��crasant.

– Je vous regarde et je ne vois qu�un soleil sans magnitude sous lequel des gens s�efforcent de cultiver le ma�s. Je vous vois moisir dans les m�andres du temps. Vous �tes maniables et mobiles comme les herbes des mar�cages. La maladie meuble vos maisons et les m�res y sont m�decins impuissants. Peut-on esp�rer que la m�canique se brise, qu�une mutinerie vous soul�ve et que vous migrez vers d�autres lieux?

– Regardez, voyez bien et n�esp�rez plus. La maturation du grain de r�volte marquera d�autres minutes que les n�tres. Vivre est pour nous une mauvaise manie. Nous faisons du moment pr�sent une momie coinc�e dans des lambeaux de mensonges. Le seul motif qui nous anime est la m�connaissance de notre mort, mot-moteur � r�sonance de mythe. Jusqu�� la r�colte finale, nous miserons nos jours sur la multiplicit� des formes du malheur, sur la venue d�une mousson moite de solitude, balayant de ses grands bras les derni�res miettes de remords.