Entasser l’invent� sur l’existant
Il m’arrive souvent de fr�quenter les librairies plusieurs fois par semaine. J’aime �tre entour�e de livres et j’aime bien conna�tre les nouveaut�s, faire des recherches, etc. Maintenant que je travaille moi-m�me sur un projet litt�raire (�a fait moins lourd � porter que « roman »), je questionne la pertinence de cette habitude. Il m’arrive d’entrer dans une librairie et de ressentir un grand vertige � la vue des nombreux livres qui sont publi�s � chaque semaine. « � quoi bon �crire? », que je me dis, d�courag�e par la quantit� d’oeuvres, par l’abondance de talent et le fait que la plupart de ces livres ne trouveront jamais preneur. Je sais, je sais. La motivation doit �tre int�rieure. On �crit parce qu’on ne « peut » rien faire d’autre, parce qu’on en a envie. Parce que �a fait mal quand on ne le fait pas. Je sais tout �a. Je n’arrive tout de m�me pas � faire taire toutes mes angoisses.
C’est pourtant une librairie qui a offert un �cho rassurant � mes doutes. Hier, alors que je furetais sans but pr��is, je suis tomb�e sur un petit livre qui a attir� mon attention: Le chant de l’�tre et du para�tre, de Cees Nooteboom, un auteur n�erlandais que je ne connaissais pas du tout, mais que l’on a compar� � Calvino et Borges. Ce roman rempli d’esprit et d’humour relate les questionnements d’un �crivain sur l’acte d’�criture, tout en nous offrant en alternance les fruits de son labeur, c’est � dire le roman qu’il est en train d’�crire.
Le spectacle d’un �crivain seul dans son bureau a quelque chose d’indiciblement triste. T�t ou tard dans la vie d’un �crivain vient le moment o� il doute de ce qu’il fait. Le contraire serait peut-�tre surprenant. Plus un individu avance en �ge, plus la r�alit� devient envahissante, et en m�me temps moins elle l’int�resse – il y en a tant. Faut-il encore y ajouter quelque chose? Doit-on vraiment entasser de l’invent� sur l’existant pour l’unique raison que, jeune encore et n’ayant gu�re t�t� de ce qu’il est convenu d’appeler la r�alit�, on a imagin� soi-m�me un peu de pseudo-r�alit� et que tout le monde, d�s lors, vous a baptis� �crivain? […]
Son histoire avait �videmment d�j� �t� �crite quelques centaines de fois, mais par la vie elle-m�me. D’un autre c�t�, on pouvait en dire autant de n’importe quoi. Chaque variante avait d�j� �t� invent�e, puisqu’elle avait d�j� �t� v�cue. Il y avait des �crivains pour penser qu’en �crivant une histoire ils �clairaient un aspect de la r�alit�, mais � quoi bon? Cette clart� ferait tout au plus partie de la r�alit� du lecteur, et qu’�tait le lecteur, en derni�re analyse, sinon le sujet possible d’une histoire?
Je suis curieuse de conna�tre la suite.